Pépère n°9 – « Vaut mieux en rire ..! »

AVERTISSEMENT
Chers amis lecteurs,
Je vous livre le courrier d’un citoyen de notre commune. Par respect pour son auteur, le texte n’a pas été édulcoré, ni censuré. Ainsi, il contient certaines phrases qui peuvent choquer les âmes sensibles.

Cher Pépère,
Tout d’abord, ce n’est point par malice ou fanfaronnade, que je me présente avec le même blase que vous. Depuis que j’ai plus de tifs sur le caillou, Mémère m’appelle « Pépère » et réciproquement.
De toute façon, on est tous « Pépère » ou « Mémère » de quelqu’un, dès lors qu’on a les fumerons qui flageolent au point de prendre une canne pour aller chercher le bricheton quotidien à la boulange du coin !
Mémère et moi, on adore vos chroniques, qui nous requinquent pour un temps et révèlent au grand jour qu’on est désormais gouverné par une poignée de margoulins qui entravent que t’chi à la gouvernance locale.
Faut en effet se rendre à l’évidence. Voici un an qu’ils sont à la tête de la commune et, avec Mémère, on attend toujours le premier pas de la première action municipale.
Rien ! Nib ! Que dalle !
Même pas un semblant de début de frémissement d’une esquisse d’un avant-projet
qui laisserait supposer qu’ils vont enfin se mettre au boulot !
Et, comble de la fumisterie, plutôt que de fermer leur clapet, ces cossards ataviques braillent à qui veut les entendre qu’ils sont les plus forts. Manquent pas de toupet, ces caves qui se prennent pour des cadors et se permettent ainsi de donner des leçons de bonne conduite à leurs prédécesseurs.
Cependant, à force de dégoiser à tout va que « rien ne va, mais que ça ira mieux demain », bon nombre de nos paroissiens crédules gobent leurs boniments de pacotille comme du bon pain béni !
C’est ainsi que Mémère, cette brave femme, innocente comme le nouveau-né au sortir des entrailles de sa mère, en a fait l’amère expérience.
Hier, en rentrant du marché, elle était toute émoustillée.
Elle frétillait du croupion comme le jour où, au bord du Groin, elle avait vu le Toine, nu comme un ver, qu’avait baissé son froc en velours côtelé, pour se laver le fondement. Ses attributs s’agitaient au soleil, en cadence, comme le carillon de notre Sainte Église qui annonce la messe du dimanche. Faut dire qu’il est bien monté, le bougre !
Sans prendre le temps d’ôter son chapeau de paille et son imperméable en véritable simili-cuir noir, elle m’apostropha :
- J ‘en ai une bien bonne à te raconter, mon Pépère. J’ai rencontré la Grande Berthe chez le charcutier qui m’a dit que la nouvelle équipe municipale avait trouvé les caisses de la commune vides, à sec comme le Séran au mois d’août. Y’ aurait plus de picaillons pour faire tourner la boutique. Parait même que c’est la Préfecture qui s’occupera des affaires communales ! J’arrive pas à croire que, durant les 18 années passées à la Mairie, notre ancienne Maire et son équipe ont pu nous esbroufer de la sorte. J’arrive pas à gober que, durant tout ce temps-là, ils nous ont roulés dans la farine, sans que personne n’ait rien vu ! »
Elle avait débité sa tirade d’un seul coup, d’une voix haut perchée, rouge de confusion et de colère à l’idée d’avoir été prise pour un perdreau de l’année, depuis belle lurette, par des élus qu’elle avait toujours soutenus. Son dentier en clapotait de fureur contenue.
Bernée, trahie, cocufiée, Mémère !
Tels étaient les sentiments qui se bousculaient dans sa tête.
Mémère,cette innocente femme, n’a pas le sens de la mesure, encore moins de la demi-teinte. Le monde, pour elle, est noir ou blanc. Ainsi, elle prend pour argent comptant tout ce qu’on raconte, sans discernement. Question d’éducation.
Dès sa plus tendre enfance, elle a usé sa jupe, en coton écru, sur les bancs de l’école des jésuites jusqu’à l’âge de dix ans. Ensuite de quoi, ses pauvres bougres de parents, qu’étaient fauchés comme les blés en été, l’avaient confiée au curé de la paroisse pour parfaire ses connaissances scolaires, en échange d’un peu de ménage au presbytère, d’un morceau de pain et d’un bol quotidien de soupe au lard.
Faut dire également que Mémère, cette sainte femme, va à confesse une fois par mois et avale sa boite de sardines à l’huile d’olive tous les vendredis.
Une fois pourtant, par mégarde, elle a becqueté une rondelle de saucisson du goret du Toine. C’était le vendredi des rameaux. Constatant son erreur, elle s’est précipitée sur le tas de fumier, s’est enfilée deux doigts dans le corgnolon pour dégurgiter le morceau de cochon. Par chance, elle y est arrivée. Et pour se purifier à la fois l’âme et la glotte, elle s’est envoyée dans le gosier un verre de jus de pissenlits qu’avaient mariné dans une décoction de punaises écrasées et d’huile de foie de morue.
Elle n’a retrouvé la sérénité, la pauvre femme, qu’après trois « Pater » et deux « Avé Maria », récités à genoux sur les dents du râteau !
C’est pourquoi, élevée dans la rigueur de la pure tradition catholique, elle ne peut imaginer que les édiles respectables de la paroisse puissent raconter des fariboles et des calembredaines, eux dont la vocation consiste à se dévouer corps et âmes pour leurs concitoyens, dont la moitié d’entre eux critique sans vergogne leur politique, tandis que l’autre moitié s’en fout comme de l’an quarante !
Y’ a qu’au moment des élections que tout ce petit monde prend conscience de l’importance de la tâche des élus.
Comme quoi, le boulot de maire ou de conseiller n’est pas un sacerdoce : ça rapporte des tas d’embêtements au quotidien et des clopinettes dans l’escarcelle !
Alors, j’ai expliqué à Mémère que la vie n’est pas si simple, qu’il n’y a pas d’un côté que de bons citoyens bien intentionnés, reconnaissables à leur bonne bouille du premier de la classe et, de l’autre côté, des mécréants à la gueule patibulaire. Que, parfois, un quidam bien propre sur lui n’est, en réalité, qu’une crapule sans scrupule. Bref, que l’habit ne fait pas le moine !
Elle m’a écouté sans moufeter, les quinquets écarquillés comme ceux du poisson rouge dont le bocal trône sur le buffet de la cuisine.
- Par la Sainte Madone et tous les Saints ! Que me dis-tu là, mon Pépère !
Que Monsieur le Maire et ses compères nous dégoisent que des balivernes et des menteries depuis leur élection ! Qu’ils nous esbroufent avec leurs beaux discours d’apôtres, qu’on dirait les sermons du saint Curé ! »
Mémère repris son souffle. La vérité lui apparut soudain, comme la Sainte Vierge à Bernadette Soubirous, dans la grotte à Lourdes ! Pourquoi n’avait-elle pas compris plus tôt ?
C’était pourtant évident que les trois prophètes municipaux, sous leur allure de moinillons à qui l’on donnerait le Bon Dieu sans confession, n’étaient pas si innocents que ça. Ils avaient participé aux équipes précédentes et validé les décisions et orientations qu’ils dénoncent à présent avec toute la bonne mauvaise foi des faux samaritains.
Mémère leva les yeux au Ciel et se signa par trois fois. Elle murmura tout bas, :
- Oh, Seigneur ! C’est-y possible qu’il existe des mécréants aussi mal intentionnés au point de monter le bourrichon aux honnêtes gens ? Sont-ils habités par « le Malin » pour agir de la sorte ? »
Et la brave femme, qu’avait pas un brin de malice, demanda à son Seigneur de leur pardonner !
Voilà, cher Pépère, l’histoire que je voulais vous raconter. Je vous laisse la liberté de la diffuser aux honnêtes citoyens de notre commune, si le cœur vous en dit.
En attendant, avec Mémère, on vous souhaite une bonne continuation.
A la revoyure.
Pépère.
En attendant les jours meilleurs, prenez bien soin de vous !

