Pépère n°8 – « Les minus ! »

« C’est pas nous … C’est ceux d’avant ! …
On ne peut rien faire !…
On n’a pas les sous, puisque « les autres » ont laissé les caisses vides ! »,
Voici les principaux refrains que claironnent, à l’unisson,
nos élus actuels pour justifier leur incompétence à gérer la commune.
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A la manière de Ponce Pilate, icône malgré lui de la cohorte de couards et de poltrons qui traversent les siècles, le Maire et ses proches adjoints se lavent les mains de leurs actions passées. Ils renient en bloc leur participation active dans l’équipe municipale antérieure, leur vote des orientations et des budgets qu’ils ont pourtant validés sans broncher, parfois même avec conviction et enthousiasme.
Tels les rats qui, pour sauver leur peau, quittent le navire au milieu de la tempête
et laissent à leur triste sort les occupants de l’embarcation.
Démonstration, s’il en était besoin, de la complexité de la nature humaine qui est capable du meilleur comme du pire.
Aux innocents les mains pleines , ou , dans le cas présent , aux faux culs les mains sales !
Il est en effet plus facile de cracher dans la soupe qui nous a nourris, que d’avouer avoir participé à sa préparation.
Rester planqué bien au chaud au milieu de la meute, en hurlant avec ses congénères, ne dénote pas d’un courage à toute épreuve. Et, quand, de surcroît, on souffle sur les braises de la haine, chacun est en droit de s’interroger sur la santé morale des acteurs.
L’homme est un loup pour l’homme. C’est bien connu !
Cette triste histoire me rappelle un épisode de mon enfance, du temps où les valeurs humaines guidaient les actions de chacun.
Nous étions au sortir de la guerre. Comme chaque année, en compagnie de mes trois frères, nous passions la dernière partie des longues vacances d’été chez nos grands parents, après le séjour traditionnel en colonie, au mois de juillet.
Rituel familial immuable. Nos parents, épiciers de leur état, trimaient du matin jusqu’au soir pour subvenir aux besoins de la smala. Autant dire qu’il restait peu de temps pour occuper quatre gosses turbulents durant les longues journées des vacances.
La période était à la reconstruction du pays et, pour beaucoup d’actifs, les jours de repos annuels,« payés à ne rien faire », aux dires de mon Père, se comptaient parfois sur les doigts d’une seule main. Il n’était pas question des 35h de travail hebdomadaire, encore moins des 5 semaines de congés payés !
Ce jour-là, en prévision du repas de midi, Grand-mère avait préparé un flan maison. A son habitude, elle avait remisé le dessert dans l’appentis qui jouxtait la cuisine. Le flan-vanille, c’est mon péché mignon. Et celui de Grand-mère, confectionné avec les œufs des poules de la ferme, était particulièrement succulent.
En milieu de matinée, je me suis glissé dans la remise. L’objet de ma convoitise trônait sur l’étagère. Une douce odeur suave, de miel et d’épices mêlés, envahissait le cellier et vint chatouiller agréablement mes narines. La tentation fut trop forte…
En fin de repas, lorsque Grand-mère présenta le saladier, amputé d’une bonne partie de son contenu, je compris la portée de ma forfaiture. Elle exigea de connaître l’auteur du délit et, comme mes frangins, je répondis « C’est pas moi ! ».
Et c’est ainsi que, faute de coupable, nous avons été privés de dessert !
Mais l’histoire ne s’arrêta pas là.
Grand-père, en fin de repas, avait pour habitude de s’installer sur le vieux banc en bois, à l’entrée de la cuisine. Il me pria de le rejoindre. Il sortit sa pipe, la bourra, puis l’alluma. Une belle volute de fumée bleue s’envola dans le ciel, chargée d’ une agréable odeur de pain d’épices.
Il me regarda longuement.
– Écoute bien, mon Petit, ce que je vais te raconter »
De sa voix calme et bienveillante, il me narra l’histoire suivante :
– Durant la guerre, un homme du village a tenté de faire sauter la voiture d’un convoi allemand qui traversait la grand-rue. Mal préparé, son engin n’a provoqué que peu de dégâts.
Pourtant, la répression fut terrible. Le capitaine allemand regroupa les hommes du village et invita le coupable à se dénoncer. Mais l’auteur du délit n’eut pas le courage d’avouer son geste. Alors, en représailles, l’officier ennemi prit cinq personnes au hasard, tous pères de famille, et les fusilla derrière l’église… devant femmes et enfants…. Le lendemain, pris de remords, le fautif se pendit dans sa grange.»
Grand-Père marqua un temps d’arrêt, tira sur sa pipe, puis reprit son récit :
– Tu vois, Petit, le coupable n’était pas un mauvais bougre. C’était un fanfaron qui voulait prouver sa bravoure alors, qu’en réalité, il était faible, lâche, incapable d’assumer les conséquences de ses actions.
Comme lui, dans la vie, tu seras amené à choisir , à prendre des décisions, pas toujours agréables.
Mais, il n’y a que deux manières d’agir :
– Soit en Homme, c’est à dire en personne responsable, digne, qui assume ses actes ;
– Soit en Minus, c’est à dire en individu faible, couard, peureux, qui fuit ses responsabilités et se réfugie derrière les autres par manque de courage. »
Son récit terminé, Grand-père me regarda longuement. Il planta ses yeux dans les miens.
– Voila, mon Petit. J’espère que cette triste histoire te servira de leçon !»
Alors je suis rentré dans la cuisine. Grand-mère terminait de laver la vaisselle. Je m’approchais et lui dit :
– C’est moi, mamie. C’est moi qui ai mangé le flan »
Elle pris soin de fermer l’eau au robinet de l’évier, s’est essuyée les mains au revers de son tablier.Un large sourire éclaira son doux visage :
– C’est bien, mon Petit. Je suis fière de toi. »
Sa main caressa ma joue. Elle ajouta:
– Tu peux rejoindre tes frères, maintenant . Va jouer avec eux. »
Et le soir, au souper, j’ai dégusté le meilleur flan-vanille de toute ma vie !
Aujourd’hui, lorsque je constate le comportement de nos élus, je ne peux m’empêcher de penser à ce jour de ma tendre enfance. Je me dis alors qu’ils n’ont pas eu la chance de connaître des grands parents comme les miens.
C’est fort dommage et bien triste pour eux, car ils resteront toujours…des Minus !
En attendant les jours meilleurs, prenez bien soin de vous !

