Pépère n°28 – « Le Royaume merveilleux d’Artemare ! »

Oyez, Oyez, braves gens, messires et manants, gentes dames et damoiseaux !
Approchez et esgourdez l’incroyable histoire du paisible royaume d’Artemare, projeté par son bon Maire dans une époque révolue, au temps jadis où roitelets et hobereaux régnaient sans conteste en souverains fats et arrogants.
Le même bon Maire qui, il y a cinq lustres, alors tiers adjoint, servit humblement la commune trois mandats durant, en fidèle serviteur et zélé valet, discret et soumis. Or, le voici soudain possédé par le roué Démon, obsédé de pouvoir, assoiffé de gloriole et d’apparat, crachant sans vergogne dans la soupe qui jusque-là l’avait abondamment nourri. Pour conquérir le trône désiré, il étrilla ses anciens compagnons de route et clama, dans tout le royaume, avoir redressé les finances, mises à mal par ceux avec qui il banqueta naguère avec délectation. Tonitruant, promettant monts et merveilles, il sortit de sa besace une kyrielle de promesses qui brillaient comme catalogue de Noël. Escomptant fol espoir de renouveau, le bon peuple, conquit par le verbe habile du discoureur et séduit par ses généreuses paroles, le plaça sur le trône.
Mais, sitôt son vénérable séant posé sur le siège princier, notre flagorneur s’endormit, assurément piqué par une mouche diabolique venue de lointaine contrée africaine. Comme l’ours brun à l’entrée de la froidure hivernale, il entra en profonde somnolence, incapable d’assurer gérance et administration. Dès lors, pour se donner bonne contenance et apporter diversion, il parcourut la contrée, distribuant baise-mains par-ci et faux sourire par-là, comme autrefois les rois fainéants dans leur auguste chariote.
Et, pour montrer nouvel éclat et illusion de changement, il entreprit de redorer armoiries et concevoir moderne blason, en remplacement des anciennes bannières et oriflammes pourtant de belles factures, mais indignes, à son goût, de représenter la magnificence de son règne naissant.
Il confia à un compère artisan la création d’un site internet inédit et si brillant qu’on en parlerait par-delà les frontières du pays. Ainsi nanti des consignes ambitieuses du bon Maire, le compagnon-créateur trouva judicieux d’établir vitrine du site municipal hors de France…en Helvétie, sans doute pour afficher meilleur faste et sublime éclat !
Las ! De brouilles obscures en mesquines querelles courtisanes de basse-cour, le projet resta ainsi suspendu et rejoignit ses congénères dans les dédales ténébreux des oubliettes communales.
Du site internet innovant, étendard d’un nouveau royaume éblouissant, annoncé pourtant à grand fracas d’olifant, il ne reste désormais qu’un désert numérique et quelques pages estampillées de la mention « en construction », de quoi dérouter damoiselles et gentilhommes en quête de bons conseils et connaissances de la commune.
Démonstration affligeante, s’il en est, d’une promesse avortée et consternante, qui révèle de manière pitoyable une mandature sans âme ni réelles ambitions, endormie, depuis cinq années, à l’image de son maître dans son gîte doré !
Or soudain, miracle ! A six lunes des élections, un souffle de vigueur secoue notre monarque apathique qui émerge de sa somnolence comme Belle au bois dormant émoustillée par la chaleur du doux baiser du Prince charmant. Alors, pris d’une frénésie de bâtisseur, il ressort, fébrile, anciens dossiers poussiéreux de ses prédécesseurs, qu’il avait lui-même enfoui au plus profond des tiroirs de l’oubli.
Le royaume se couvre ainsi de chantiers commencés à la hâte. Tels bourgeons au printemps, ils poussent partout, signe d’un faux renouveau tardif après les longues années de paresse, de léthargie et d’inconséquences. Point d’importance s’il est trop tard pour les réaliser, l’essentiel étant de s’agiter en tous sens pour montrer appétence et ambition.
Point d’étonnement, itou, si les finances paraissent saines. Rien n’a été fait, donc rien n’a été dépensé. Et plus subtile encore est la duplicité de notre bon Maire, puisque les dépenses, trop lourdes pour ce mandat, ne seront mises en lumière qu’après les élections. Calcul machiavélique de celui qui, en goupil rusé, garda coffre fermé à double tour pour faire miroiter belles finances et préparer ainsi son second règne.
Mais folle précipitation n’est pas bonne conseillère !
Voyez, bons villageois, les chiffres monstrueux exhibés. Plus de deux millions et quatre cent mille écus prévus pour la seule réalisation de la crèche municipale ! Un budget somptueux digne d’un palais princier paré de robinetteries en or et de parterres en marbre d’Italie ! Et chacun sait que le coût final de pareil ouvrage sera plus lourd que celui annoncé.
Certes, des subventions viendront de-ci, de-là, amoindrir l’addition, mais la pesante note tombera en dernier sur la tête du peuple. La taxe foncière, telle une ogresse vorace et insatiable, viendra alors trouver pitance, de longues années durant, dans les bourses et escarcelles de l’honnête citoyen.
Ainsi se referme le conte du Royaume merveilleux d’Artemare. Ses personnages et ses aventures ne sont nés que de la plume imaginaire de son auteur. N’y cherchez point écho, chers amis lecteurs, avec le monde réel et impitoyable d’aujourd’hui. Il ne s’agit là que d’une histoire écrite pour vous apporter divertissement…
…Même si, parfois, la réalité rencontre la fiction !
En attendant les jours meilleurs, Prenez bien soin de vous !





