Pépère n°22 – « Du goudron et des plumes ! »

« Tu pousses le bouchon un peu trop loin, n’est-ce pas Maurice ? »

Souvenez-vous, chers amis lecteurs, de cette publicité télévisée qui mettait en scène un petit gamin espiègle de quatre ans, entouré de pots de yaourt vides, la cuillère à la main et les babines encore barbouillées de crème, accusant Maurice, son poisson rouge, d’avoir lui-même avalé tous les desserts !

Le pauvre Maurice, les yeux exorbités et la bouche grande ouverte, coincé dans son bocal trop étroit, semblait ébaubi et décontenancé devant le culot affiché du jeune diablotin à qui, cependant, on pardonnait aisément son effronterie du fait de son jeune âge.

Mais, dans le monde des adultes, accuser sans scrupule le premier quidam qui passe pour masquer ses méfaits ou son incompétence, est l’apanage des faibles et des aigris qui érigent en dogme de gouvernance le principe bien connu de la diversion. Ainsi, le poisson rouge innocent devient le bouc émissaire idéal à qui on attribue tous les maux de la terre.

Flinguer son adversaire de manière systématique, surtout lorsque celui-ci ne peut répondre, évite de porter le regard sur son propre bilan afin de ne pas révéler la faiblesse de ses actions et de ses échecs.

Actuellement dans notre pays, où les valeurs humaines essentielles se liquéfient comme le glaçon dans le verre de pastis en plein soleil, cette pratique, hélas, gangrène toutes les strates de notre système politico-administratif, du sommet de l’ État jusque dans les communes les plus reculées de nos régions.

Le citoyen lambda, conscient de la déliquescence des règles morales de la Nation, assiste, désabusé, aux règlements de comptes de tous ordres, dans une foire d’empoigne où celui qui détient les cartes fixe les règles du jeu et ramasse la mise, au mépris, bien souvent, de la raison et de la bienséance

Comme au Far-West, du temps des années folles, la loi du plus fort prédominait et bien souvent, le shérif du village ne devait son poste, ni à ses qualités humanistes, ni à son niveau de compétence, mais tout simplement parce qu’il dégainait le plus vite ! 

Aussi, mes chers amis, pour étayer mes propos, je vous propose un petit voyage dans l’espace et dans le temps…. Laissez votre esprit vagabonder dans l’immensité des plaines du Texas, à l’époque où les valeureux pionniers partaient à la conquête des grands espaces inconnus….

….Il était une fois dans l’ouest une petite bourgade jadis paisible et prospère, ARTEMARE CITY, tombée par malchance aux mains d’un shérif sans foi ni loi, plus qualifié dans le maniement de son «six coups» que dans  la gestion du village dont il avait la charge.

Dès sa prise de fonction, au mépris des règles administratives élémentaires, la vision économique limitée à la portée de son colt, notre pitoyable marshall multiplia erreurs et bavures.

C’est ainsi qu’il dépeça le saloon, fierté locale de renommée régionale, désossé et vendu en morceaux, laissant à l’abandon 21 chambres d’accueil. Dès lors, faute d’un hébergement suffisant, les diligences qui sillonnaient le pays évitèrent ARTEMARE CITY, au grand dam des commerçants et artisans qui perdirent bien plus qu’une poignée de dollars !

Mais la grande braderie ne s’arrêta pas là. Il liquida, au plus offrant, des bâtiments commerciaux municipaux, parfois à la moitié de leur valeur.

Par méconnaissance de la réglementation, il négligea de restructurer la « Poste-télégraphe » qui perdit ainsi une partie de ses services. Du contre coup, les citoyens forts mécontents durent se rendre à la bourgade voisine, à une bonne demi-journée de cheval.

Son manque de sensibilité sociale associée à l’absence de fil conducteur d’une politique communale réfléchie, entraîna la liquidation de l’Association d’Animation laquelle, depuis des lustres, régissait en parfaite harmonie l’ensemble des clubs et amicales sportives et culturelles de la bourgade. Véritable exploit, si j’ose dire, de sabordage et de destruction d’une institution profondément ancrée dans le paysage collectif local.

Mais, fort heureusement, dans les westerns de l’Amérique puritaine du XXème siècle, le Bien triomphe toujours du Mal et les tartuffes finissent souvent dans l’abreuvoir à cochons, le corps enduit de goudron et recouvert de plumes.

Conforme à cet usage, notre histoire n’échappe pas à la règle, puisque, crevant l’écran, John Wayne apparut sur son fier alezan blanc tacheté de noir. En deux coups de cuillère à pot, dans une ultime chevauchée fantastique, il bouta, hors de la contrée, la brute et le truand.

Réunis en conseil extraordinaire, les sages de la cité le proclamèrent shérif d’ ARTEMARE CITY et épinglèrent la traditionnelle étoile en métal doré sur sa virile poitrine. Ensuite,  fidèle à la tradition de l’ouest, ils fêtèrent tous l’événement au saloon, à grandes rasades de whisky frelaté !

Bien entendu, mes chers amis, cette belle histoire n’est que pure fiction sortie tout droit de mon imagination enfantine, mais néanmoins nostalgique d’une époque révolue où les valeurs humaines étaient érigées en modèle de vie.

Inutile de vous préciser que toute ressemblance avec des événements ou des personnages existants ne serait que le fruit du hasard de mon esprit vagabond. Quoique ….

En attendant les jours meilleurs, prenez bien soin de vous !