Pépère n°14 – « Miracle à ARTEMARE ! »

Oui, chers amis lecteurs, vous avez beau frotter vos quinquets incrédules, nettoyer à la javel votre paire de bésicles, relire à deux fois le titre de ma chronique, vos yeux, écarquillés de stupeur, ont bien lu : « MIRACLE À ARTEMARE ! »
Passé le premier instant d’hébétude bien compréhensible, vous vous dites que Pépère, poussé par les premières chaleurs estivales, a abusé de la dive bouteille au point que son cerveau, imbibé de vapeurs éthyliques, est entré soudainement dans un délire mystique.
A moins que, surpris et affligés, vous pensiez que le pauvre diable que je suis, frappé par un éclair divin de trop forte intensité, serait, d’un coup, devenu un fervent calotin illuminé, à la limite de la démence dévote.
Eh bien, vous vous trompez !!
L’éclair divin, s’il est tombé, a, hélas, évité mon humble personne. Je ne laisserai donc pas traces de mon passage terrestre dans les livres sacrés et aucune chorale paroissiale ne chantera mes louages au cours des siècles à venir.
Et, pourtant, je continue à clamer, haut et fort, qu’un miracle s’est bel et bien produit à ARTEMARE ! Plus exactement dans les dédales obscurs de la Mairie, réservés aux seuls élus initiés qui officient à l’ombre des regards indiscrets.
Ce jour-là, alors qu’ils assistaient, découragés et impuissants, à la lente agonie des finances communales laissées exsangues et moribondes par leurs prédécesseurs, l’incroyable se produisit.
Une lumière intense enveloppa les livres de comptes, chassant l’ombre démoniaque du spectre préfectoral. Alors, dans une sarabande effrénée, les colonnes débitrices s’effacèrent, les moins se transformèrent en plus, les soldes débiteurs en soldes créditeurs. Et les factures, d’un coup, furent soldées.
Le budget municipal retrouva ainsi vigueur et santé
et notre commune, du même coup, honneur et fierté!
Je vous l’avais bien dit : Miracle !
Car, comment expliquer l’inexplicable ? Comment expliquer de manière rationnelle que le budget décrit dans le dernier bulletin municipal comme « laissé non équilibré suite à une très mauvaise gestion financière de l’équipe municipale sous le mandat précédent, insincère et comportant de nombreux impayés » retrouve, soudain éclat et équilibre, en une seule année?
Tous les experts-comptables, tous les spécialistes en gestion confirmeront qu’il est impossible de redresser une situation financière à ce point dégradée, sur un seul exercice comptable.
Force est donc de constater que nous nous trouvons en présence d’un phénomène extraordinaire qui échappe à l’intervention humaine et dont l’origine, par conséquent, ne peut être que divine!
Faut-il nous en réjouir ? Certainement.
Mais, faut-il, pour autant, ébruiter cette belle histoire qui semble sortir tout droit d’un conte de fée ?
Imaginons un seul instant que la nouvelle se propage à travers villes et campagnes.
En quelques semaines, de tous les coins de France, des cohortes d’autocars afflueraient dans notre beau village, rebaptisé SAINT ARTEMARE pour l’occasion, débarquant sous les fenêtres de la Mairie une foule de contribuables repentants, feuille d’imposition en main et suppliant SAINT ARTEMARE de les délivrer du poids d’ un impôt trop lourd à porter.
Les nuits, on assisterait au défilé permanent des limousines noires des patrons du « CAC 40 », agitant leur gibus gorgé d’actions, dans l’espoir d’en accroître les plus-values.
Imaginez la suite…
Victime de son succès, organismes financiers internationaux et spéculateurs de tous bords viendraient s’établir à SAINT ARTEMARE, érigeant buildings, succursales bancaires et bureaux de change. En un éclair, notre beau village serait propulsé au rang de place financière mondiale, rivalisant avec celles de TOKYO, SINGAPOUR et LONDRES. Édifié sur le plateau du Fierloz, un aérodrome assurerait la liaison avec les principaux aéroports de la planète. Et, pour couronner le tout, hôtels de luxe, palaces et casinos pousseraient comme des champignons sur toute la commune, accueillant touristes et professionnels dans un ballet incessant de taxis.
Et puis, par une nuit sans lune, un drôle de pèlerin débarquerait, en catimini, d’un véhicule banalisé venu tout droit du palais de l’Élysée, le visage dissimulé sous l’ample capuchon de sa robe de bure.
S’agenouillant sur la première marche du perron de la Mairie, d’un attaché-case en cuir de vachette, il sortirait un volumineux dossier sur lequel on pourrait lire l’inscription « Dette de la France ». Levant le document vers les cieux en offrande à SAINT ARTEMARE, il supplierait la clémence divine de le délivrer de ce lourd fardeau.
« Non ! Pas LUI ! », clamez-vous haut et fort.
Alors, Miracle ! Devant l’absurdité de la scène, le voile se déchire soudain, révélant au grand jour la vérité et c’est ainsi que vous prenez conscience, d’un coup, de l’énorme absurdité de toute cette mascarade.
Vous comprenez enfin l’origine de cette histoire qui repose sur un sordide mensonge laissant croire que les finances communales, à l’origine, étaient catastrophiques. Vous mesurez, effarés, la perversité des arguments frelatés, créés et savamment colportés pour apporter le discrédit sur l’équipe municipale précédente.
Pratiques viles et lâches de gouvernance qui ne glorifient pas leurs auteurs !
Mais, pour autant, et puisqu’il faut choisir entre la peste et le choléra,
je refuse l’option de devoir vivre un jour à SAINT ARTEMARE CITY !
En attendant les jours meilleurs, prenez bien soin de vous !

