Pépère n°11 – « Contrefaçons sentimentales et Abus de Pouvoir ! »

Chers amis lecteurs,
Je me permets de vous adresser, ainsi qu’à vos proches, mes vœux les plus sincères de santé et de bonheur.
Cette année sera riche en événements, liés, bien entendu, à l’évolution de l’imprévisible et redoutable virus Covid 19, mais aussi en raison de l’élection, pour cinq années, du nouveau chef de notre nation, homme ou femme.
Telles sont les deux principales incertitudes de portée nationale, actuellement à l’ordre du jour. Bien malin celui qui peut en donner les réponses. Et c’est tant mieux !
Où serait le charme de la vie sans le piment de la découverte du futur ?
En ces premiers jours de l’an, j’ai reçu les bons vœux de Pépère et Mémère, deux citoyens de notre charmante commune. J’en suis très honoré.
Et c’est avec grand plaisir que je vous offre la lettre de Pépère, document plein de bon sens, comme l’était d’ailleurs son premier courrier (voir ma chronique N° 9).
Bonne lecture !
En attendant les jours meilleurs, prenez bien soin de vous !

Très cher Pépère,
Depuis trois semaines, Mémère me tarabuste pour que je vous adresse nos civilités ainsi que nos bons vœux de nouvel an.
« N’oublie pas de souhaiter la bonne année à Pépère le Chroniqueur. C’est un brave homme qui mérite qu’on prenne bien soin de sa personne. Il nous a fait grand honneur en publiant ta lettre* … En plus, il s’appelle « Pépère », comme toi. C’est ton conscrit qu’a traversé la même vie, qu’a connu les mêmes belles choses et aussi les pires… Alors, il est comme qui dirait de notre famille….Tu lui envoies la jolie carte postale avec les oiseaux bleus et rouges qui chantent sur les branches des sapins remplies de sucre en poudre qu’on dirait de la neige. »
Pour Mémère, cette sainte femme, les relations entre les gens sont aussi limpides que l’eau du puits du Toine. Les discours, comme les écrits, sont paroles d’ Évangile. C’est pourquoi, chez nous autres, on souhaite pas la bonne année à n’importe qui, mais seulement à notre parenté et aux connaissances qui nous sont chères.
C’est pas comme cette jeunesse qui trifouille du téléphone, comme le bidasse de sa mitraillette, pour arroser, en rafales, la terre entière de bons vœux de pacotille, à destination d’une flopée d’amis fictifs. Tu reçois alors, par mégarde, cette mitraille de sentiments factices, qui ne te troue pas la paillasse, mais qui te laisse dans le cœur la blessure amère de la fausseté de leur humanité hypocrite.
C’est pas non plus comme tous ces marchandiaux sans scrupule, lesquels, aux approches des fêtes de fin d’année, inondent les boites aux lettres de brochures, avec des photos de pères Noël franchouillards, bien grassouillets et joufflus, qui gambadent autour de sapins enguirlandés de foie gras, de chapons dodus et de boutanches de pinard venus de Château Margot et d’autres châtelains rupins de Bordeaux.
Mémère, dans son innocente candeur, gobe toutes ces publicités mercantiles comme du bon pain béni. Ainsi, le lendemain du jour de l’an, elle a remis à la caissière du supermarché, une lettre à l’ intention du directeur :
Cher Monsieur Carrefour,
Bien que je ne sois pas une bonne cliente dépensière, vous m’avez fait grand plaisir en m’ honorant de vos bons vœux, écrits sur du luxueux papier brillant tout en couleur qui a dû vous coûter rudement cher.
Vous êtes la bonté même de vous inquiéter du sort de pauvres bougres bien ordinaires. Je vous en ai bien de la reconnaissance. Aussi, sachez que chaque dimanche après la messe, je demanderai à notre Bon Dieu de veiller sur vous afin de vous préserver de toutes les méchancetés de ce monde.
Je vous souhaite, Cher Monsieur Carrefour, une bonne année et vous adresse mes civilités les plus distinguées.
Le dimanche suivant, elle est retournée à l’église afin de prier au plus près du Bon Dieu. Pour la circonstance, elle avait enfilé sa pèlerine en vraie laine d’ Écosse. C’est elle-même qui l’a tricotée l’hiver dernier. Elle en est très fière et aime se pavaner dedans avec une certaine délectation. Elle en a aussi choisi la couleur verte , car, dit-elle, c’est la couleur de l’espérance.
Et comme il lui restait un peu de laine, elle s’est confectionnée un bonnet. Sur le dessus, à la place du pompon, elle a accroché une coccinelle au bout d’un fil de fer. Ainsi, quand elle marche, la bête à bon Dieu se balance au rythme de ses pas, qu’on croit qu’elle vole autour de Mémère, prête à se poser sur le sommet de son crâne.
Mais le plus surprenant, c’est lorsque Mémère s’est agenouillée devant la statue de la Sainte Vierge, les mains jointes dans une dévote ferveur. Brandissant un crucifix, le vieux Père curé a surgi du presbytère en poussant un cri d’effroi qu’a résonné dans tout le saint édifice :« Arrière Satan ! Hors de la maison du Seigneur !».
Myope comme une taupe, il a confondu Mémère avec une énorme mante religieuse prête à bondir pour becqueter l’Enfant Jésus.
Conscient de sa bévue, le brave ecclésiastique a rajusté ses bésicles et s’est confondu en excuses : « Pardonnez ma fille à un vieux serviteur de Dieu qu’ aurait bien besoin d’une nouvelle paire de lunettes. Que le Saint Esprit vous préserve et vous garde dans sa lumière. »
Puis il s’en alla, laissant Mémère, en tête à tête, avec sa conscience et le Saint Père :
« C’est pas pour moi, Seigneur, que je viens vous rendre visite. Bien que ça me ferait très plaisir que vous preniez grand soin de la santé de mon Pépère d’époux, qu’à dépassé les quatre vingt dix printemps et qui traîne de plus en plus la savate que ça me fait misère. Sans vous commander ni vous manquer de respect, j’aimerais bien que vous puissiez le prolonger sur cette terre quelques années de plus, en bonne santé…
Mais, aujourd’hui, je suis surtout venu converser avec vous au sujet de Monsieur Carrefour qu’ est une belle personne bien attentionnée.»
Alors, Mémère raconta les bons vœux qu’ il lui avait tout spécialement adressés, à elle qu’est pourtant pas dépensière, qui compte toujours à quatre sous près et qui ne remplit son cabas qu’une fois par quinzaine de choses bien ordinaires comme le café, le sucre et une bouteille d’huile de tournesol. Parfois, pour les fêtes carillonnées, elle se permet une folie en achetant une pièce de bœuf à bouillir. Pour le reste, le jardin fournit les légumes et les fruits qu’on a besoin et les poules pondent des œufs frais, plus qu’il en faut, que Mémère échange avec le Toine contre un bout de lard ou de cottis.
« Aussi, Seigneur, vous comprendrez que j’ai été esbroufée et complètement ébaubie que Monsieur Carrefour me fasse tant d’honneur, à moi qui ne suis pas une bonne cliente dispendieuse. Il mérite bien, le saint homme, que vous lui accordiez votre bienveillance pour l’aider à nourrir tous les braves gens que nous sommes. »
Mémère marqua un temps d’arrêt. Elle déplia ses jambes, l’une après l’autre. A genoux depuis de longues minutes, ses articulations douloureuses lui rappelaient la vieillerie de sa carcasse.
« Toutefois, ce qui me turlupine, c’est le silence de notre Maire qu’a même pas trouvé un peu de son temps pour souhaiter les bons vœux à ses ouailles…Comme si on n’ existe plus…C’est-y malheur de constater que t’as de la valeur qu’au moment des élections. Faut voir, à ce moment-là, comment il courrait après tout son monde… Et que je te serre une poignée de mains, par- ci… Et que je te fais de grosses risettes, par- là….Ah ! Il en a fait des tours de village, le gaillard, au point d’user sa paire de grolles jusqu’à la corde!..Et maintenant, une fois élu, tu comptes plus. T’es plus rien ! Tout juste bon à jeter aux chiens !…C’est bien triste de savoir que t’es considéré comme un simple bulletin de vote….Alors, Seigneur, dans ta grande bonté, toi qui a ramené tant de brebis égarées, peux-tu l’aider à retrouver le droit chemin et lui greffer quelques bourgeons d’humanité dans le cœur, afin qu’il retrouve un semblant de considération pour ses administrés ? »
Accompagnée de la bête à bon Dieu qui virevoltait à ses côtés, Mémère va chaque jour scruter la boite aux lettres dans l’ attente du courrier du Maire…qui arrive enfin, peut-être avec l’appui du Bon Dieu, puisque les voix du Seigneur sont impénétrables !!
C’est sur cette note pleine d’espoir que je vous quitte, mon cher Pépère le chroniqueur, en vous souhaitant une belle année et une excellente santé.
Mémère attend avec impatience vos chroniques qui nous font grand plaisir.
A la revoyure.
Pépère.
